Parfois il est troublant comme certaines œuvres peuvent se ressembler ou du moins se correspondre... C'est le cas, à près d'un siècle d'écart, pour ces deux tableaux, "Les Poissardes mélancoliques" peint en 1892 par James Ensor et "Les vieilles ou le Temps" peint en 1808-1812 par Francisco de Goya.
Même sujet, deux vieilles femmes sont rattrapées par la mort dans des contextes sociaux différents : des poissardes à Ostende, une noble et sa servante en Espagne.
Même composition où dans une pièce à la fonction assez indéterminée, deux femmes assises sur une chaise en bois, sont comme emprisonnées dans un espace sans échappatoire et sont éclairées par la lumière qui provient d'une fenêtre sur la gauche.
Même recherche de symboles pour faire comprendre que leur fin est proche : dans un cas, la bougie prête à se rompre, les têtes de mort brandissant un panneau "A mort ! Elles ont mangé trop de poisson", le poisson coupé en deux par le chat, le crabe rouge cuit ; dans l'autre cas, l'homme ailé symbolise le Temps et les deux vieilles femmes décrépies ont déjà une apparence cadavérique avec leurs visages creusés et l'extrême maigreur de celle de droite.
Alors qu'elles semblent gagnées chez Ensor par la lassitude et la fatalité (surtout sur le visage de la femme de droite), elles essaient de se faire encore coquettes chez Goya, c'est le cas notamment de la femme de droite, vêtue d'une robe blanche et d'une parure de bijoux (boucle d'oreilles, bagues, bracelet, flèche en diamant) comme si elle se rendait à un bal, et qui se contemple dans un miroir.
Alors que les couleurs sont virulentes, en décalage complet avec la tristesse de la scène chez Ensor, elles sont chez Goya sombres et lugubres, à l'exception de la masse blanche de la robe avec des reflets bleus.
A la férocité libératrice de Goya, "la vieille femme de gauche vêtue de noir et de grenat semble ... personnifier la Mort qui tend le miroir de la Fin à la vivante en sursis, parée de blanc pour la noce funèbre. Là, la question "Qué tal" devient l'ultime question, pour déterminer dans quelle région des Enfers elle ira "comment ça va ?" pourrait alors être interprété comme "comment a été ta vie ?" (1), répond ici la moquerie amère d'Ensor...
(1) exposé sur le blog "Bulle d'Art"
Certains sujet sont récurrents dans l'histoire de l'art, et ont été traités avec prédilection par de nombreux artistes, de façon plus ou moins heureuse, quelquefois, ce sont des hommages, quelquefois des plagiats.
Rédigé par : elisabeth | 23 janvier 2010 à 23:35
Voici encore un de ces rapprochements lumineux dont vous avez le secret, chère Myriam. Au fatalisme désabusé que je lis chez Ensor répond l'ironie mordante de Goya, qui souligne toute la vanité des apprêts qui tentent de masquer que le corps est le véhicule de la putréfaction, ce qui me fait naturellement penser à la mode du macabre qui fit rage en Europe à la fin du XIVe et surtout au XVe siècle, avec la mode des transis.
Bien amicalement.
Rédigé par : Jean-Christophe Pucek | 24 janvier 2010 à 11:54
Oui, ¿Qué tal? s'utilise comme "Comment ça va" mais littéralement c'est plus "C'est comment?", "Cela ressemble à quoi ?" ce qui garde donc un double sens en demandant aux gens sur le point de mourir, ou qui sont déjà morts "Elle est comment, la mort ?".
Très jolie étude, cette comparaison des deux tableaux, merci beaucoup pour tes(vos) lumières.
Rédigé par : joye | 24 janvier 2010 à 17:11
> Pour ma part Elisabeth, je penche ici pour un hommage...
> Oups ! pour illustrer vos propos cher Jean-Christophe sur les transis : http://fr.wikipedia.org/wiki/Transi
> Je suis époustouflée Joye, aucune langue n'échappe à ta sagacité !
Rédigé par : myriam | 25 janvier 2010 à 14:41