Un autre tableau remarquable de Jean-Antoine Watteau est le Pierrot, dit autrefois "Gilles" qu'il peint à la fin de sa vie, vers 1718-1719. On ne sait pas grand chose sur la genèse de cette œuvre, est-ce une enseigne pour le café que tenait l'acteur Belloni, ou est-ce la représentation d'un spectacle de forains ?
Debout face à nous, les bras ballants, ce Pierrot triste, aux yeux perdus dans le vague, a une allure très lunaire. Tous les regards convergent vers le centre du tableau, comme le regard du spectateur happé cette tenue blanche qui semble irradier la toile ; et il se détache du ciel et des feuillages qui délimitent la toile. Le cadrage en légère contre-plongée renforce l'étrangeté de la scène : ce personnage de la Commedia dell'arte est-il sur une scène d'un théâtre de foire ? En arrière-plan, figurent effectivement les compagnons habituels de Pierrot, le docteur sur son âne, Léandre et Isabelle, les amoureux, et le capitaine ... ou ce personnage a-t-il droit à un tableau de plein pied comme les nobles et les grands personnages d'états ? et représente de manière allégorique l'artiste ?
Philippe Sollers dit de ce tableau : "Le Gilles de Watteau est l’un des tableaux les plus mystérieux du monde. Tout en lui est évident, lumineux, et tout est obscur."
D'une façon un peu étrange, ce tableau ne me renvoie pas à celui qu'a réalisé Derain ou encore Picasso au début du vingtième siècle, mais à un tableau bien plus ancien que j'ai pu voir à la Galerie des Offices à Florence où j'ai eu l'impression de retrouver cette même grâce éphémère et intemporelle, je veux parler de "La naissance de Vénus" peint vers 1485 par Botticelli.
Je connais bien ce Pierrot, il figurait sur un de mes manuels de littérature pendant que je faisais mes études !!!
Rédigé par : joye | 17 septembre 2009 à 14:45
C'est une belle association ces deux tableaux! Mais le Pierrot est beaucoup plus lumineux. C'est la lumière centrale qui me frappe chez Watteau, je l'avais déjà observé dans le billet précédent (l'île de Cythère).
Merci Bleucobalt! On en fait des découvertes grâce à vous!
Rédigé par : Tilleul | 17 septembre 2009 à 20:39
Judicieux rapprochement des deux tableaux, à laquelle je souscris, et qui, je ne sais pourquoi, me touche.
Peut-être par la présence simultanée
A) des contrastes:
1) homme/femme,
2) habillé jusqu'au cou pour l'un (seul le visage et les mains sont découverts, mis en valeur par un bandeau sous le chapeau et des manches longues qui, plissées, pourraient en cacher beaucoup plus encore), dénudée totalement pour l'autre, sans la moindre once de début de bout de tissu sur la peau, et
B) des points communs: les deux personnages sont immobiles et posent ouvertement face à nous tandis qu'autour d'eux la vie s'agite et continue.
Rédigé par : Pierre | 17 septembre 2009 à 22:48
Bonjour Joye, cela ne m'étonne pas vraiment, traditionnellement ce Pierrot illustre les "Fêtes galantes" de Verlaine
:-) !
Rédigé par : myriam | 19 septembre 2009 à 18:54
Me voilà de retour de mon voyage à Illiers-Combray, et que vois-je, Watteau, le grand Watteau que Proust plaçait au dessus de Raphaël et qu'il a mis en poème aussi ! C'est toujours un plaisir de le voir, ce Gilles me rappelle aussi le " Carnaval " de Théophile Gautier.
Joyeux anniversaire !
Rédigé par : grillon | 19 septembre 2009 à 19:09
Bonsoir Tilleul, c'est vrai que le Pierrot est irradié par le blanc alors que dans "Le pélerinage à l'Ile de Cythère" c'est plutôt l'échappée vers l'eau, les paysages vaporeux et le ciel qui éclairent la toile ...
Rédigé par : myriam | 19 septembre 2009 à 19:32
Bonjour chère Myriam,
Il fallait oser ce rapprochement entre Botticelli et Watteau, et je vous avoue que, de moi-même, il ne me serait jamais venu à l'esprit. Encore une excellente raison de venir se promener ici !
Ce que j'aime énormément dans ce Pierrot, c'est la façon dont il résiste encore et toujours à l'analyse. Ce qu'on peut en lire nous en apprend généralement beaucoup plus sur les commentateurs que sur l'œuvre elle-même, tant la multitude de pistes qu'elle ouvre permet à chacun d'y voir ce que bon lui semble. Il semble néanmoins que Watteau ait eu une affinité particulière envers le personnage de Pierrot, qu'il a représenté à plusieurs reprises en le mettant à chaque fois en valeur : Pierrot content, (c.1712, Madrid), La comédie italienne (c.1716, Berlin), Les comédiens italiens (c.1720, Washington). Ce serait sans doute une piste à creuser.
Bien amicalement à vous.
Rédigé par : Jean-Christophe | 20 septembre 2009 à 15:12
Pierre, je dois vous l'avouer ce rapprochement ne m'est apparu que très récemment. Par le plus grand des hasards, cela fait un certain temps que je souhaitais parler de cette œuvre de Watteau et en préparant la note, j'ai revu ce tableau de Botticelli et le rapprochement s'est immédiatement imposé : la pose attentiste des deux protagonistes, j'oserais-je ajouter presque jusque dans la pose des corps, les tableaux dans les tableaux (chez Watteau, Léandre et Isabelle, et le Capitaine, chez Botticelli, Zéphyr et Cupidon), l'impression de calme et d'intemporalité qui se dégagent de ces deux œuvres ...
Rédigé par : myriam | 20 septembre 2009 à 18:54
Bonsoir Grillon, j'espère que votre petit séjour à Illiers-Combray s'est bien passé !
Merci et à très bientôt chez vous !
Rédigé par : myriam | 20 septembre 2009 à 19:03
Bonsoir cher Jean-Christophe, c'est vrai que Watteau a représenté à plusieurs reprises Pierrot content http://static.ulike.net/img/01_Pierrot_Content.jpg, Les comédiens italiens http://i78.servimg.com/u/f78/11/68/35/02/wat10.jpg et ce serait sans doute une piste à creuser, cependant en face d'une telle œuvre je crois que l'on ne veut guère croire en une genèse simple !
Bien amicalement à vous.
Rédigé par : myriam | 20 septembre 2009 à 19:22
J'ai vu la toile de Watteau pour la première fois il y a très très longtemps, j'avais 8 ans environ, et à cette époque elle portait encore le titre de "Gilles" qui est mon prénom. Elle a eu une influence énorme sur moi ! Elle m'a déterminé à choisir une profession de la représentation (pas le théâtre, mais l'enseignement) et m'a inhibé à porter des vêtements blancs. On lit parfois que le personnage a un regard niais, mais cela ne m'a jamais convaincu. Comme écrit Jean-Christophe, Gilles résiste toujours à l'analyse.
J'hésite à faire le rapprochement entre le quattrocento et le début du XVIIIᵉ siècle, cependant, parce que les penseurs de la Renaissance croyaient encore aux mythes Antiques tandis que le XVIIIᵉ était sur le point de créer de nouveaux mythes. Autrement dit, Gilles — ou Pierrot — est contemporain alors que Vénus est originaire, qu'il est un humain entouré d'autres humains et qu'elle est une déesse entourée d'autres divinités (la Nature et le Vent) et enfin, parce que Pierrot et ses camarades jouent, représentent, par l'intermédiaire d'accessoires et de vêtements tandis que Vénus ne représente qu'elle-même.
Rédigé par : Gilles | 22 septembre 2009 à 02:05
Comme je vous comprends Gilles, moi-même il y a quelques temps encore je n'aurais jamais songé à ce rapprochement ... C'est simplement parce qu'à force de visiter des musées, des expositions, de lire des ouvrages sur l'art, mon œil (notre oeil avec Philippe) est amené à découvrir des associations que j'étais (que nous étions) incapable de faire auparavant ...
Rédigé par : myriam | 23 septembre 2009 à 18:33