... suite et fin
"Une rupture radicale, qui a revêtu depuis une dimension mythique, est opérée en décembre 1915 par Malévitch et ses disciples, au premier rang desquels Klioune et Popova, lors de l'exposition "0,10" à Saint-Pétersbourg." (1) Lors de cette dernière exposition futuriste, Malévitch y présente le Carré noir sur fond blanc qui consiste en un carré noir (dont les angles ne sont pas véritablement égaux) ressortant sur un fond blanc, on entre dans le suprématisme. A cette exposition, pas très loin d'une grande croix, on découvre un tableau de petite taille "Quadrilatère noir" (24 x 17 cm) dont les contours sont incertains sur un fond blanc, on sent la vibration de l'espace. A partir de formes géométriques essentielles (demi-sphère pour le ciel, carré pour la terre) et de trois catégories de couleurs (blanc pour l'infini, noir pour le carré et couleurs primaires pour le reste), Malévitch s'engage dans une peinture plus formaliste qu'abstraite où comme il dit "l'art ne veut plus rien savoir de l'objet, et pense pouvoir exister en soi et pour soi". Toujours dans la même grande salle d'exposition, on peut voir ce tableau ci-contre de Lioubov Popova, "Construction espace-force", peint en 1921, une huile et poudre de marbre sur bois qui est vraiment impressionnant.
En parallèle du suprématisme, se développe le constructivisme qui est véritablement révélateur après le cubisme de la réintroduction de l'objet dans la peinture, comme si les artistes russes précédaient, annonçaient et accompagnaient la révolution de 1917. L'art est au service de l'homme nouveau, cet homme nouveau qui est ingénieur et constructeur. Ci-contre, un tableau d'Alexandre Rodtchenko, "Construction sur fond blanc (Robots)", de 1920, huile sur bois (© Adagp Paris 2008).
En fin de parcours, les rencontres sont encore nombreuses et inattendues. Ainsi en est-il avec Mikhaïl Matiouchine, musicien et peintre, et nous ressentons au travers de sa toile aux couleurs chaudes, "Construction picturale musicale", comme une ronde sensuelle ; avec Vladimir Tatline qui récupère déjà des matériaux usagés pour en faire une œuvre d'art, "Contre-relief au pied de chaise", 1914-1915 ; avec Xenia Ender et ses collages qui emmènent vers des rives lointaines aborigènes.
"A travers ce kaléidoscope", on est saisi par "l'incroyable créativité et diversité de cette avant-garde russe des années 10 et 20, qui ne se limite pas au suprématisme et au constructivisme, mais les déborde et anticipe les mouvements artistiques qui se développeront ultérieurement en Occident, tels l'abstraction géométrique, le biomorphisme, l'expressionnisme abstrait, le minimalisme, la nouvelle figuration ...". (2) Nous aurons l'occasion d'y revenir.
En prime, pour terminer cette exposition, un petit complément visuel !
(1) Extrait du dossier de presse de l'exposition
(2) Yves Kobry, Commissaire de l'exposition
(3) En cliquant sur le lien un article très intéressant sur l'Avant-garde russe sur le blog "Lunettes Rouges"
Je vous avoue, chère Myriam, que je trouve ces œuvres de l'avant-garde russe fort bien réalisées, mais qu'elles ne "parlent" absolument pas. Je suis sans doute stupide - ce dont je ne doute pas un instant - mais je ne parviens pas à saisir ce que les artistes ont à dire au spectateur que je suis. Désolé :o(
Amitiés à vous.
PS : en revanche, un grand merci pour le Monet offert en peinture du moment.
Rédigé par : Jean-Christophe | 15 mars 2009 à 11:30
Mais non, mais non cher Jean-Christophe ! Et nous serons au moins deux parce qu'à cette exposition il y a un corridor où sont exposés des collages et là aussi j'ai eu un peu de mal (heureusement que la conférencière nous a parlé du problème de l'authentification de ces œuvres !).
C'est vrai que ces œuvres maintenant peuvent paraître un peu "faciles", mais il ne faut pas oublier qu'elles ont été faites à une époque où comme je le disais à Tilleul dans ma réponse à son commentaire (de la 1ère partie de cette expo), l'informatique, la modélisation et les images de synthèse n'existaient pas.
On sent très nettement un foisonnement créatif qui est marqué par la montée en puissance de l'ère industrielle avec l'apparition d'un homme nouveau, foisonnement qui va être peu à peu étouffé sous le poids du politiquement correct ...
Bon dimanche à vous ! :-)
Rédigé par : myriam | 15 mars 2009 à 12:26
Aujourd'hui, c'est devant "la construction picturale musicale" que je m'extasie... Voilà le genre d'oeuvre que j'aimerais avoir chez moi... :-)
Petite pensée spéciale pour Myriam...
Rédigé par : Tilleul | 15 mars 2009 à 22:11
Si Mondriaan avait disposé de la vidéo, "Broadway Boogie-Woogie" (1942) aurait été animée — quoique le dessin animé existait depuis longtemps, mais il n'a pas pensé à utiliser cette technique — si Einstein avait pu utiliser un ordinateur pour faire ses calculs ; si Leonardo da Vinci avait pu construire ses machines en acier plutôt qu'en bois ; si Chirico avait eu Photoshop…
J'ai eu le plaisir de voir des Malevitch de près et… l'exécution est bâclée (de même que les toiles de Mondriaan d'ailleurs), hésitante, maladroite. Ces grands artistes ont conçu des manières de voir inédites, ils ont découvert des rapports entre les choses que personne n'avait vus avant eux ; certes leurs moyens techniques étaient déficients mais ils étaient les pionniers qui nous ont ouvert les yeux, et ont rendu possibles les photographies de Erik Johansson, par exemple.
http://www.alltelleringet.com/
Rédigé par : Gilles | 16 mars 2009 à 00:57
Jean-Christophe,
Malevitch et Rodtchenko te parlent sans aucun doute (ils pensaient à toi — les gens qui nous suivront seront meilleurs que nous, comme disait Tchékhov — en réalisant leurs œuvres), mais ils ne te disent pas les mêmes choses que Monet. Monet nous rassure et nous réconforte, eux ils nous déconcertent, pour notre plus grand bien. Non pas que je sois de ceux qui rejette le passé, j'admire passionnément Rogier van der Weyden, mais de même que Racine me dit l'angoisse des grands de son époque et peut servir de point de comparaison avec le bling-bling de ceux de la nôtre, et Proust me parler de l'état d'esprit de nos grand-pères, il faut écouter aussi nos contemporains si nous voulons comprendre le monde dans lequel nous vivons.
Un exemple dans l'architecture : l'école du Bauhaus a cherché à résoudre des problèmes de coût de production du mobilier et des immeubles en épurant les formes, mais ses conceptions étaient… trop rationnelles. Leurs immeubles semblent inhabitables à la plupart des gens, et les grands ensembles autour de Paris leur donnent raison. Malevitch de même : il nous prévient que les purs rapports logiques, si on ne leur laisse pas un 'indéterminé humain", conduisent à la domination administrative, aveugle, "sécuritaire", surtout si la logique est fausse.
À mon avis voilà ce qu'ils ont a dire.
Rédigé par : Gilles | 16 mars 2009 à 01:19
Gilles,
Un grand merci pour votre mot, et, chers Myriam et Philippe, veuillez m'excuser de faire le coucou en m'installant un instant dans un espace qui n'est pas le mien.
Gilles, donc, puisque c'est à vous que je réponds, j'entends parfaitement ce que vous me dîtes, même si je ne partage pas intégralement votre sentiment. Bien sûr qu'il faut être à l'écoute du monde dans lequel nous vivons et rester ouvert sur ce qui s'y passe dans les différents domaines artistiques. C'est ce que je tente de faire à mon petit niveau, mais je vous avoue que l'art contemporain (hors les noms déjà cités sur ce blog) ne me fait rien, vous savez, comme ces personnages de bande dessinée dont la bulle est laissée en blanc pour marquer le vide qui les saisit. Je regarde, souvent avec curiosité, toujours avec attention, mais rien ne laisse de trace dans mon esprit, quand une nature morte du XVIIe siècle peut me faire complètement chavirer (c'est aussi valable pour la musique, Boulez est, à mes oreilles incompréhensible, mais pas Machaut). Croyez-vous que je suis passéiste ? Sans doute. Je dois même être complètement pétrifié pour être aussi peu réceptif aux productions artistiques de notre temps. Mais j'assume pleinement mon statut de dinosaure et la stupidité que j'ai de prétendre que sans une compréhension profonde du monde d'hier (voire d'avant-hier), la lecture de celui d'aujourd'hui est impossible, de la même façon que je soutiens que la façon d'envisager, comme il est bon de le faire dans les milieux autorisés, l'Histoire de l'Art en jaugeant tout à l'aune de l'art italien est une foutaise coupable.
J'ai sans doute répondu un peu à côté, veuillez m'en excuser. Ne le prenez pas à mal, je suis, tout au contraire, touché que vous ayez pris du temps pour me faire signe, et vous en remercie sincèrement.
Bien à vous.
Rédigé par : Jean-Christophe | 17 mars 2009 à 20:11
Jean-Christophe,
Les dinosaures étaient "modernes" dans leur milieu… quoiqu'il semble que celui-ci ait changé assez brusquement et qu'ils n'aient pas eu le temps de s'adapter, mais c'est une autre histoire.
De même, Cézanne a été "contemporain" lui aussi, au milieu du XIXᵉ siècle, et ses œuvres systématiquement rejetées au Salon de Paris. Il y a d'autre exemples. Quoi qu'il en soit, je pense que l'art actuel, particulièrement l'art "conceptuel", n'est pas fait pour laisser des traces dans notre esprit (comme tu le dis) mais pour susciter des réactions immédiates comme le rire, l'étonnement, la colère parfois. Peut-être que tu lui demandes plus qu'il ne veut donner ?
Bien que le commerce de l'art ait toujours existé, il a atteint un niveau spéculatif aberrant, depuis quelques décennies ; c'est peut-être ce qui entraîne une "trop abondante" production, et beaucoup d'imitateurs, et beaucoup de "n'importe quoi". Mais il reste qu'il nous touche forcément, puisque l'incompréhension est encore un rapport à l'objet.
J'abuse quelques instants encore de l'hospitalité de Myriam et Philippe pour te rassurer, la stupidité consisterait à dire "ma fille (ou mon fils) peut faire la même chose", et tu ne l'as pas dit ! Et je suis bien d'accord sur le fait que l'art du passé fonde celui de maintenant, sans y mettre la notion de "progrès", of course.
Rédigé par : Gilles | 19 mars 2009 à 08:03
Gilles et Jean-Christophe : pour m'immiscer un tout petit peu dans vos échanges très intéressants, je rejoins en partie le propos de Gilles. L'art contemporain, plus spécifiquement l'art conceptuel, paradoxalement, n'a pas vocation à être "interprété" mais tout simplement ressenti, dans une certaine immédiateté, sans que l'on soit capable d'expliquer les ressorts profonds des impressions que l'on ressent. L'objectif des artistes contemporains n'est pas de provoquer une forme d'extase face à la beauté (et qui reste pour sûr une des plus belles expériences humaines qu'ait pu nous procurer jusqu'ici l'histoire de l'art) mais une réaction spontanée, non réfléchie sur le registre des émotions les plus diverses. Elle peut notamment se traduire par l'image tout à fait judicieuse que vous prenez Jean-Christophe, du personnage de bande dessinée avec sa bulle blanche et dont le comportement traduit certainement la plus grande confusion. Y compris dans ce cas, l'objectif de l'art conceptuel est atteint !
Rédigé par : Myriam et Philippe | 20 mars 2009 à 23:52