... suite et fin
D'autres rencontres, cette exposition "Picasso et les Maîtres" nous en réserve bien d'autres ; elles sont assez souvent décalées, humoristiques (cf. la note "Quand un homard rencontre un chat !" du 29/12/08), voire même déroutantes, décapantes, provocantes ! Et vous pouvez même ce week-end profiter de cette exposition en nocturne, ce qui est une grande première, puisqu'elle se clôture par une ouverture exceptionnelle, sans interruption, jusqu'au lundi 2 février à 20 heures.
A partir des années 1950, Picasso entreprend des variations à partir de chefs d'œuvre du passé comme les "Femmes d'Alger" de Delacroix, "Le déjeuner sur l'herbe" de Manet, "Les Ménines" de Vélasquez et "L'Enlèvement des Sabines" de Poussin, et ce dialogue est incessant jusqu'à la fin de sa vie. Faute de pouvoir les présenter de façon exhaustive, cela nous entraînerait trop loin (et cela vous réserve d'autres notes dans la catégorie "Trait pour Trait" !), je voudrais m'attacher ici à vous en montrer quelques unes.
D'abord, je ne résiste pas à vous présenter cette libre transposition du tableau de Courbet "Les Demoiselles des bords de la Seine". Même composition avec la présence du fleuve et de la barque en arrière plan, même présence végétale avec l'herbe au premier plan et l'arbre qui encadre en haut le tableau, même attitude des deux femmes allongées au bord de l'eau, même présence du rouge pour l'une des deux robes, mais également libre transposition humoristique avec pour l'une ses mains transformées en poissons, et pour l'autre transformées en feuille (comme si le côté végétal enveloppait non seulement les deux femmes, mais également le tableau avec l'arbre qui donne l'impression d'une frise) et libre interprétation de cette scène avec les visages scindés en deux (une partie blanche et une partie noire qui se répondent) qui laissent envisager ce que Courbet ne fait que suggérer avec les jupons de la robe un peu en pagaille, le regard lourd, à demi-clos pour l'une des deux femmes et celui perdu dans le vague pour l'autre ...
Une autre rencontre picturale est celle avec les Ménines. Enfermé dans l'atelier de sa villa cannoise La Californie, Picasso va peindre du 17 août au 30 décembre 1957, 58 tableaux dont 44 variations sur les Ménines, l'œuvre phare de Vélasquez, peinte en 1656. Le tableau "Les Ménines d'après Vélasquez" (Musée Picasso, Barcelone, ci-contre), traité comme un négatif en noir et blanc, reprend les éléments essentiels du tableau de Vélasquez, mais il les transforme. Ainsi le format du tableau est non plus vertical, mais horizontal, accordant de ce fait une position encore plus importante au peintre qui occupe avec son chevalet un tiers de la toile et quasiment toute la hauteur de celle-ci et les autres personnages deviennent, de gauche à droite, de plus en plus simplifiés, dans un style de dessin d'enfants.
Même style de dessin infantile, mais cette fois-ci en couleurs franches, acidulées, dans la toile "Les Ménines, Vue d'ensemble d'après Vélasquez", ci-contre. Si dans "Les Ménines" de Vélasquez, le tableau n'est pas que l'envers d'un portrait royal, et c'est déjà celui sur la place du peintre "qui s'est mis au centre du dispositif avec des témoins de la scène, face au roi et à la reine qui, eux, sont à la place du spectateur", avec Picasso, le peintre devient le personnage essentiel, il n'est "le serviteur de personne, si ce n'est de la peinture".
"Depuis la Renaissance, l'artiste, en tant que personnage, en tant que créateur des œuvres, n'a pas cessé de grandir, de prendre de plus en plus de place par rapport aux objets qu'il crée. A-t-il ou n'a-t-il pas le premier rôle, celui de qui dicte et décide? En tout cas il est au centre de ce monde-là, non plus à la périphérie, non plus un témoin qui assiste à la scène, mais l'acteur. Il a conquis cette liberté et ce pouvoir. Ce qui oblige à tout repenser, encore une fois." (extrait du blog atmosphérique, texte de Laurent Wolf, octobre 2008).
Voilà, le parcours de l'exposition s'achève, avec la dernière salle consacrée aux grands nus, Vénus, Maya et Olympia de toute beauté et qui continuent d'habiter l'inspiration de Picasso. Sa version de Vénus se divertissant avec l'Amour et la Musique, "Nu couché et homme jouant de la guitare" (1970, musée national Picasso, Paris) est particulièrement décapante !
En conclusion, deux phrases de Pablo Picasso qui résument bien la démarche de ce peintre hors norme, à la fois démiurge, cannibale et exorciste.
« En art, il n’y a ni passé ni avenir.
Lorsqu’une œuvre d’art ne continue pas de vivre de façon vivante dans
le présent, elle n’entre plus en ligne de compte. »
« L'art véritable ne réside pas dans la beauté de la peinture, mais dans l'action de peindre. »
L'avant-dernière citation semble au contraire de ses oeuvres qui copient sur des maîtres...s'il n'y a pas de passé, pourquoi regardait-il en arrière ?
Pensait-il dorer le lys (comme nous disons en anglais) ou simplement lui dépouiller ses pétales ?
Rédigé par : joye | 30 janvier 2009 à 17:56
Merci pour ce beau reportage!
Un nu est quelque chose de beau, d'esthétique... sauf si il est peint par Picasso...
Je ne comprends décidément pas sa peinture...
Rédigé par : Tilleul | 30 janvier 2009 à 18:39
> Bonsoir Joye, il a regardé dans le passé, mais justement pour réinterpréter et faire vivre dans le présent ces œuvres d'art, c'est comme cela que je comprends sa phrase. ;-)
> Bonsoir Tilleul, merci d'avoir suivi ce reportage jusqu'au bout ! Il y a des nus de Picasso qui sont beaux ! http://accel6.mettre-put-idata.over-blog.com/0/21/89/67/louvre/picasso-1906-a-toilette.jpg , ou celui-ci que je viens de voir aujourd'hui au Louvre (exposition Delacroix-Picasso) http://album.foto.ru:8080/photos/pr0/141148/28431.jpg ...
C'est vrai qu'il y a d'autres toiles de Picasso où je n'accroche pas du tout, je dois avouer que j'ai un peu de mal avec beaucoup des toiles de nus qu'il a peintes à la fin de sa vie (même si je finis par leur trouver un côté humoristique !). Je leur trouve finalement un côté très ancré dans la culture espagnole, dans la tauromachie, le nu est ramené non pas à la beauté mais à un côté très animal, très bestial avec les attributs féminins et/ou masculins mis en exergue ...
Rédigé par : myriam | 30 janvier 2009 à 21:51
Merci de nous avoir permis de revivre et surtout traduit en paroles cette magnifique exposition.
Je ne trouve pas de contact sur votre blog.
Sachez que j'organise une rencontre de blogueurs ( maximum 10), dans ma région, toute proche de la Suisse, à l'occasion de l'exposition de l'Art africain, océanien et contemporain à la Fondation Beyeler, ainsi que de l'exposition Van Gogh au Kunstmuseum de Bâle.
fin avril ou courant mai.
Rédigé par : la dilettante | 31 janvier 2009 à 15:12
Merci Elisabeth ! Et ce serait avec grand plaisir de pouvoir partager avec d'autres blogueurs la découverte d'expositions !
Rédigé par : Laëtitia Delaide | 31 janvier 2009 à 16:56
Ah oui, j'ai été impolie !
Merci pour ces textes, c'est toujours très intéressant de vous lire.
Rédigé par : joye | 31 janvier 2009 à 18:50
Ah oui ? Non, je ne le crois pas !
Merci pour tous ces échanges et bon dimanche en peinture !
Rédigé par : Laëtitia Delaide | 31 janvier 2009 à 19:48
On parlait de Picasso au BBC cet aprèm'. Une histoire d'un tableau Picasso au MOMA, et les héritiers d'une famille qui demandaient qu'on leur le rende car la famille a été forcée par les Nazis de le vendre. On expliquait pourquoi le musée n'a pas rendu le tableau, et comment on décide qui peut garder quoi.
Rédigé par : joye | 03 février 2009 à 01:23
Oui, cela est souvent compliqué. "Les musées européens et américains se retrouvent régulièrement devant les tribunaux pour justifier la provenance de certaines de leurs œuvres. Une toile de Picasso fait actuellement l’objet d’un procès entre l’héritier de Paul von Mendelssohn-Bartholdy, son ancien propriétaire mort à Berlin en 1935, et le MoMA de New York. Le musée assure que Le Meneur de cheval nu (1905-1906) a bien été vendu par le collectionneur à un marchand, juste avant son décès. M. Schoeps, le descendant, rétorque que cette vente est la conséquence directe des persécutions contre les juifs. Ces procès, souvent retentissants, mettent aussi dans l’embarras les institutions qui reçoivent les œuvres en prêt pour des expositions." Connaissance des Arts, juillet 2008
Rédigé par : Laëtitia Delaide | 03 février 2009 à 22:12
Joye, un petit complément à notre réponse, http://www.artclair.com/site/archives/e-docs/00/00/F6/C9/document_article.php
Rédigé par : Laëtitia Delaide | 04 février 2009 à 19:33
je me souviens que nous avons passé beaucoup de temps dans la salle consacrée à Vélasquez au musée Picasso de Barcelone, la tête finissait par me tourner, je ne savais plus quoi en penser, sinon que la démarche en soi était intéressante, parce que créatrice
telle que je comprends la dernière citation, je ne suis pas tout à fait d'accord : dans mon ressenti, je trouve une toile belle (outre la scène peinte, ou l'objet, les couleurs, le "cadrage", la perspective...) parce que justement, l'action de peindre y est encore vivante, présente ... parce que j'y vois le résultat et le travail... une palpitation
;)
Rédigé par : mariev | 06 février 2009 à 17:26
Tel que je comprends cette phrase, je pense qu'il était tellement habité par la peinture, qu'il lui suffisait de peindre pour être dans l'art, peu importait pour lui le fait de savoir si l'œuvre d'art répondait ou non à des critères de beauté, et d'ailleurs quels sont ces critères de beauté ? Avons-nous la même perception de la beauté au vingtième siècle que lors des siècles précédents ? et, même, je dirais que finalement, il nous pousse à voir ses œuvres au delà de leur beauté, parce que un certain nombre de celles-ci ne sont pas vraiment belles, mais elles vont nous faire comme tu le dis palpiter, elles vont déclencher une émotion bien vivante ...
Rédigé par : myriam | 06 février 2009 à 17:43