... suite et fin
De retour dans les Flandres (1627-1632), Van Dyck mène une carrière très active de peintre d'histoire et de portraitiste et, dans le domaine des portraits, il affirme son style propre qui tend "sinon à abolir, du moins à estomper la frontière entre portrait noble et portrait bourgeois".
Pour l'illustrer ces propos, on peut prendre pour exemple les deux remarquables portraits présentés en pendant des époux Stevens. Il peint d'abord, en 1627, le "Portrait de Peeter Stevens", un marchand drapier d'Anvers. Il le représente en gentilhomme qui accapare les signes distinctifs de la noblesse avec l'accent mis sur l'utilisation ostentatoire du gant (clin d'oeil à "L'Homme au gant" du Titien) et les armes familiales figurant sur le pilastre à côté de lui. "Il ne manque guère qu'une épée pour que la frontière entre portrait bourgeois et portrait aristocratique soit entièrement abolie". Le "Portrait d'Anna Wake", son épouse, fut réalisé en 1628 à l'occasion de son mariage avec Peeter Stevens. Van Dyck confère à la femme, que l'on sent un peu plus en retrait, un chic également aristocratique puisqu'elle est vêtue à la française avec l'amorce d'un décolleté, qu'elle tient dans ses mains un éventail en plumes d'autruche (ce qui était à l'époque très rare et très cher), et qu'il y a également les références aux armes familiales sur le pilastre. Il semblerait que ces deux tableaux ont été conçus comme des pendants même s'ils dérogent à la règle traditionnelle "héraldique" de présenter l'homme à la droite de la femme. "En galant homme, Stevens paraît présenter au spectateur sa jeune épouse et les regards qu'il lui jette révèlent ses sentiments. L'aisance avec laquelle Van Dyck infléchit les conventions picturales qui corsetaient le portrait matrimonial fait oublier ici l'audace d'une représentation habitée par un climat émotif inhabituel."
Sa notoriété désormais dépasse largement Anvers, les Provinces-Unies et la cour de la Haye et il devient, à partir du printemps 1632, le portraitiste favori du roi d'Angleterre Charles 1er et ce jusqu'à sa mort en 1641. Dans ses portraits de l'aristocratie anglaise ainsi que ceux des membres de la famille royale, il parvient à trouver un habile équilibre entre l'exigence de dignité et une pose naturelle jusque là absente des portraits royaux et il annonce déjà des peintres comme Gainsborough et Reynolds. Dans ce tableau de "Charles 1er en habit de l'ordre de la Jarretière" (1637, Dresde, Staatliche Kunst-sammlungen), on est à la fois dans un portrait d'apparat royal avec une pose hiératique pour le roi, qui apparaît dans le majestueux habit de l'ordre de la Jarretière et à la fois, dans un portrait intime où l'on ressent dans ce visage longiligne et dans le regard une certaine mélancolie.
Ce qui frappe chez Van Dyck, au delà de la facilité déconcertante avec laquelle il est capable de rendre les visages, les tissus et drapés (aux couleurs chatoyantes ou sombres), c'est l'impression de naturel, d'instantané (à ce titre, l'esquisse "Portrait des princesses Elizabeth et Anne" est saisissante) qui ressort dans la plupart de ses portraits avec ce paradoxe d'avoir ennoblit ses portraits bourgeois (notamment par leur pose, la longueur de leur mains ...) et d'être parvenu à donner l'illusion du naturel dans les portraits d'apparat.
Mais peut être ce qui m'a frappé le plus, au delà de la force des regards, c'est l'extrême finesse et vivacité des mains. "On peut interpréter leur finesse autant comme un signe d'aristocratie que comme celui d'une fragilité consubstantielle ... Cette fragilité extrême et revendiquée, qui se lit des poignets fins aux doigts immensément longs, ... va de pair avec la mobilité. Car elles vivent ces mains, suggérant toujours d'imperceptibles gestes ou, lorsqu'elles sont au repos", elles ne sont "jamais raides ou lourdes, mais comme en apesanteur" '(Éric Bietry-Rivierre).
Il est encore temps de découvrir cette exposition qui se tient jusqu'au 25 janvier 2009 au Musée Jacquemart-André. Et pour une mise en perspective complémentaire, je vous recommande la lecture de cet article "Van Dyck" dans le blog d''Espace-Holbein.
Les textes entre guillemets proviennent du catalogue de l'exposition (sauf l'article dans le Figaro de Bietry-Rivierre).
Complètement d'accord avec vous en ce qui concerne la qualité de la représentation des mains dans les portraits de van Dyck. Elles sont d'une éloquence proprement sidérante. Nous avons noté, a priori, la même tendance à la mélancolie dans nombre de regards, et je me demande si cette dernière particularité n'a pas joué en faveur de l'acclimatation du peintre en Angleterre où ce sentiment imprégnait nombre d'arts, la musique en particulier.
Merci pour ces deux billets passionnants.
Bien cordialement à vous deux.
Rédigé par : jardinbaroque | 18 janvier 2009 à 12:10
Merci cher Jardin pour vos commentaires et, par cette grisaille parisienne, nous allons aller nous promener cette après-midi dans vos allées ensoleillées ...
Bien cordialement à vous.
Rédigé par : Laëtitia Delaide | 18 janvier 2009 à 14:23
Les mains ! c'est ce qui m'avait frappé dans le portrait de l'homme et dans son auto-portrait... Mais je vois que vous en parlez dans le billet... et aussi jardinbaroque...
Cette fois, je "connaissais" Van Dyck... enfin, comme il est Belge, on nous en avait un peu parlé... C'est toujours bien intéressant de venir lire les billets de bleucobalt... Merci !
Rédigé par : Tilleul | 18 janvier 2009 à 20:52
Merci Tilleul et bonne fin de soirée.
Rédigé par : Laëtitia Delaide | 18 janvier 2009 à 23:01
Ma prof d'art à l'école élémentaire nous accordait que, les mains, c'était la chose la plus difficile. Les gens que je pouvais dessiner cachaient toujours leurs mains dans le dos...allons savoir.
Merci pour ces textes sur Van Dyck. Excellents !
Rédigé par : joye | 19 janvier 2009 à 00:09
Regardez ce que je viens de voir chez overblog ! ;-)
http://www.maitrepo.com/article-26926532-6.html#anchorComment
Rédigé par : joye | 19 janvier 2009 à 14:40
Coucou Joye, Van Dyck fait presque toujours figurer les mains dans ses compositions (le tableau coûte traditionnellement plus cher avec elles), et même on dit qu'il en copiait d'autres que celles appartenant à son modèle si d'aventure ces dernières lui semblaient par trop grossières ...
Oui, il s'agit du portrait de Maria de Tassis qui fait la une de l'exposition http://www.culturespaces-minisite.com/vandyck/index.html, nous sommes dans l'élégance de la mode française comme pour le portrait d'Anna Wake, ...
Rédigé par : Laëtitia Delaide | 19 janvier 2009 à 19:13