Le célèbre portrait du Doge Leonardo Loredan réalisé par Giovanni Bellini (National Gallery - Londres) m'a toujours interpelé par son caractère "désincarné". Comme dans le cas de la peinture flamande de la même époque (XVème / XVIème siècles), la volonté d'hyperréalisme du maître vénitien dans le rendu des étoffes et ce fameux "sfumante" (fondu) dans la composition générale, conduisent à un mélange singulier de représentation très fidèle du réel et de sensation... d'irréalité. La posture statique sur un fond bleu uni dégradé, le traitement pictural dominé par un glacis très précis, me font irrémédiablement penser à ... Magritte.
Le Doge vénitien, hiératique et figé, me rappelle aussi bien Le fils de l'homme que L'homme au chapon melon du peintre surréaliste belge.
Les uns comme les autres semblent venir d'un monde onirique et inquiétant.
Dans cette petite note, j'ai même poussé la provocation à masquer le visage du Doge d'un nuage magrittien pour voir jusqu'où pouvait se situer la ressemblance. On semble alors basculer également dans l'univers pictural décalé d'un Terry Gilliam avec son Flying Circus. Je m'arrête là au risque de porter blasphème à l'un des plus grands maîtres de la Renaissance vénitienne. Je suis sûr que vous me pardonnerez ces digressions !
Bonsoir Philippe et Myriam,
La digression est d'autant mieux pardonnée qu'elle est faite avec beaucoup d'humour et d'élégance.
Le caractère désincarné de l'œuvre de Bellini, que vous relevez fort justement, peut être, à mon avis, imputé au fait que, contrairement à ce qui se passe en Flandres à la même époque, où l'on cherche avant tout à rendre visible ce qui fait la singularité d'un individu, les artistes italiens, eux, cherchent à exprimer, au-delà de l'individualité, un type, une idée, dans la droite ligne du néoplatonisme propagé par Marsile Ficin. Bellini, au-delà de Leonardo Loredan, peint un doge, voire l'image idéale d'un doge. Il faudra attendre Franciabigio et Lorenzo Lotto (cf. mon billet "Eloge de la fragilité") pour que cette donnée commence vraiment à changer.
Le rapprochement avec Magritte me semble intéressant, même s'il entre dans l'œuvre de ce dernier une dimension qui demeure absente de celle du vénitien : la part du rêve.
Bien à vous.
Rédigé par : jardinbaroque | 23 octobre 2008 à 20:36
Cher Jardin Baroque. Merci pour votre commentaire qui éclaire particulièrement bien le parcours esthétique de Bellini à Lotto. Ce dernier s'affranchit en effet des conventions qui cadrent encore la peinture de Bellini, même si je trouve que ce dernier transcende de façon magistrale ses sujets. Ce doge figé est aussi quelque part, en effet, sublimé. Cette sublimation condit à une forme de désincarnation qui rejoint quelque part la dimension onirique du surréalisme. Bien sincèrement.
Rédigé par : Philippe D | 23 octobre 2008 à 23:51
Désolé pour ce hors-sujet. Je remarque avec plaisir que vous avez inscrit notre ancien blog Poésie·Dessin·Rêves sur la liste de vos liens. Françoise et moi allons fermer ce blog, mais vous pourrez trouver nos billets sur "Les Carnets de Françoise et Gilles". Si vous désirez modifier le lien, voici la nouvelle adresse :
http://carnetsfg.wordpress.com/
Salutations,
G.
Rédigé par : Gilles | 24 octobre 2008 à 22:18
Excellent, ce nuage que tu ajoutes.
Cela me rappelle une photo que j'avais faite à Bruxelles, ayant vu les reflets des nuages dans des vitres. C'était exactement les mêmes nuages de Magritte.
Je me demande si Bellini avait peint des nuages, lui aussi, ou en est-ce bien un ?
Rédigé par : joye | 26 octobre 2008 à 09:10
> Gilles : merci pour la précision. C'est noté et corrigé !
> Joye : merci ! Il s'agit en fait d'une photographie retouchée façon peinture sur Photoshop. Les nuages de Giovanni Bellini ressemblent encore plus à des petits moutons ! Ex : http://wahooart.com/A55A04/w.nsf/OPRA/BRUE-5ZKCLF/$File/Giovanni%20Bellini%20-%20The%20Madonna%20of%20the%20Meadow.JPG
Rédigé par : Philippe | 26 octobre 2008 à 15:30
Philippe D.,
Merci pour la modification.
G.
Rédigé par : Gilles | 31 octobre 2008 à 07:51
ah, et puis ça aussi...
;)
http://pavupapri.hautetfort.com/archive/2008/10/31/merci-derain.html
Rédigé par : tiniak | 19 novembre 2008 à 00:44
Je pense plus à cela comme écho à votre commentaire et à la page de votre blog, isn't it ? : http://bleudecobalt.typepad.com/bleudecobalt/2008/10/rouge-vif-les-e.html
Rédigé par : Philippe | 20 novembre 2008 à 23:24
Je vois qu'ici je me trouve en excellente compagnie. Vous me manquiez et je l'ignorais, c'est chose réparée en 2009.
Rédigé par : la dilettante | 02 janvier 2009 à 19:16
Merci pour votre compliment. C'est grâce à Picasso ! Nous avons découvert votre blog d'une véritable amatrice d'art.
Rédigé par : Laëtitia Delaide | 02 janvier 2009 à 19:39